Harcèlement scolaire
L’adolescence est la période d’un passage où les repères et les valeurs sont remis en question en même temps qu’il en est recherché afin de baliser le sens à donner à la vie, sens et orientation qui se dessinent cahin caha.
Subir de surcroît discrimination et rejet devient alors ingérable !
Les pensées suicidaires ne sont pas loin comme en témoigne Pauline dans cet article de Psychologie magasine. Il s’agit de sortir de ce carcan, contacter des repères perdus, lâcher la pression, saisir en quoi des répétitions se sont jouées jusque-là dans son histoire, savoir dire non, etc.
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Crédit photo ; Psychologies.com
Insultes, mise à l’écart, humiliations… Pauline, 25 ans, a été harcelée au lycée. Trois années qui l’ont détruite psychologiquement, mais qui lui ont également conféré une puissante rage de vivre, ainsi qu’une volonté de fer. Aujourd’hui, malgré des plaies encore ouvertes, elle témoigne, et lutte contre le harcèlement scolaire en tant que professeure.
J’ai fait ma rentrée de seconde dans l’un des meilleurs lycées privés du Nord. La pression de la part des professeurs était constante et les humiliations récurrentes. La vie dans ce lycée élitiste et bourgeois y est organisée de façon militaire, les élèves assommés de travail et transformés en machines à mention. Mon professeur de SVT m’a fait pleurer pendant de longues minutes au tableau car je n’avais pas compris un exercice.
Il suffisait de se rendre dans la cour pour s’apercevoir qu’elle était remplie de moutons : toutes les filles avaient le même sac et le même manteau de fourrure. Je me sentais dévisagée, regardée de haut en bas, jugée sur mon apparence. Comme je ne rentrais pas dans le moule vestimentaire, j’étais différente, et cette différence a entraîné le rejet. Je ne me suis fait aucun ami dans ma classe. Personne ne me parlait, j’étais reléguée au rang de souffre-douleur. J’ai trouvé des subterfuges : prendre mon temps pour sortir de la classe, traîner dans les toilettes… pour que les récrés-tortures passent plus vite. Je préférais m’enfermer que d’être vue seule, de sentir le regard désobligeant des autres sur moi. Les moments que je détestais le plus dans la journée étaient les cours de sport, où j’étais invariablement choisie en dernière, les repas à la cantine interminables, les récréations passées dans les toilettes. Je n’étais pas capable de me défendre. J’encaissais tous les coups sans rien dire. Sur les photos de classe, je suis celle qui a le regard fuyant, les pieds rentrés, les yeux timides.
« Je ne rends pas les copies aux moches ».
J’ai entendu cette phrase sous le préau, alors que je demandais à l’élève qui avait les copies si je pouvais récupérer la mienne. Tout le monde a éclaté de rire et s’en est allé. L’humiliation était totale et l’attaque gratuite. Personne ne me soutenait dans la classe. Je ravalais mes larmes, sans rien dire, et sortais de la cour de récréation. Je n’éclatais en sanglots qu’une fois dehors. Pleurer au lycée, certainement pas. Devant mes parents, encore moins. Je m’attelais à ne rien leur dire au cours de ces trois années. Si je ne parvenais pas à m’intégrer, c’était de ma faute, et je ne voulais pas leur faire part de ce que je considérais comme un échec.
« J’avais des pensées suididaires »
Ce qui m’a aidée à tenir ? J’ai rencontré une très bonne amie avec qui j’ai gardé contact bien après le lycée. En première, nous étions un groupe de quatre et pour la première fois, j’avais une copine dans ma classe, qui m’a défendue à plusieurs reprises lorsqu’on s’en prenait à moi. L’année de terminale fut moins compliquée, peut-être car le « choc » initial de la rentrée en seconde était plus loin. J’ai aussi trouvé des appuis dans mon groupe de copines du collège que je voyais dès que possible le week-end, et je me suis fait un autre groupe d’amis dans un autre lycée que je voyais aussi en fin de semaine. Mais le harcèlement continuait.
Mes professeurs ne voyaient toujours rien, ou plutôt faisaient mine de ne rien voir. Peut-être estimaient-ils qu’étant donné que je travaillais bien et que je ne bavardais pas pendant les cours, il n’était pas nécessaire de regarder au-delà des notes. J’avais régulièrement des pensées suicidaires, des envies de me pendre pour mettre fin à tout ça. J’en parlais à ma bonne copine, qui me confiait que de son côté, lorsqu’elle rentrait le soir, elle avait envie de se jeter du pont sur lequel elle passait. Il nous est arrivé plusieurs fois de nous retrouver dans la cour et de pleurer ensemble. Mais c’est aussi à cette période que je me suis forgée une volonté de fer.
« Devenue enseignante, je lutte contre le harcèlement scolaire »
Le harcèlement laisse des traces. Je souffre de problèmes de sommeil depuis le lycée et de cauchemars récurrents. J’ai également une confiance en moi extrêmement fragile. J’ai fait une dépression. J’ai dû prendre des somnifères et des antidépresseurs pour retrouver le sommeil. Les envies de suicide sont revenues à plusieurs reprises. Je fais aussi une crise de panique par an, et je souffre d’anxiété, de stress, et même d’anxiété sociale selon la psychologue que je vois actuellement.
J’ai voulu faire taire mes peurs et prendre le risque de devenir prof, ma véritable vocation. J’enseigne l’anglais depuis deux ans. Il est pour moi inconcevable et surtout mensonger de croire que les professeurs ne voient pas le harcèlement qui se déroule dans une classe. J’ai bien sûr une sensibilité particulière sur ce sujet-là et je ne laisse rien passer avec mes élèves en ce qui concerne les moqueries, les surnoms… Je suis particulièrement attentive aux moindres signes de harcèlement scolaire : un élève éteint, triste, qui se retrouve seul lorsque je demande de se mettre par deux… Je pense qu’il peut être facile de repérer une situation de harcèlement et il est important que ce sujet soit de plus en plus abordé en France, dans les médias et les collèges-lycées. Je veux être la prof que je n’ai pas eue au lycée : donner confiance en eux à mes élèves, les valoriser et les encourager, et surtout veiller à ce que tout le monde soit bien intégré.
Aujourd’hui encore, certains font mine de ne rien voir… Parce qu’il est plus facile de se cantonner à son rôle d’enseignant que de voir ce qui se passe réellement dans la classe. Il faut également informer les élèves, qu’ils puissent mettre des mots sur ce qu’ils vivent. J’aurais aimé qu’on m’explique ce qu’était le harcèlement à cette époque, qu’on me parle des conséquences du point de vue de la loi et qu’on me donne des solutions. Ce que j’ai vécu n’était tout simplement pas normal. Nous connaissons tous potentiellement une victime dans notre entourage. Les élèves qui sont témoins de harcèlement ont aussi un rôle à jouer. Les conséquences peuvent être très graves, jusqu’au suicide pour certaines personnes. Des vies sont en jeu.
Psychologies.com – 25 Mai 2018 (lire l’article dans son intégralité)