Pour en finir avec le mépris du corps

Cet article du docteur Richard Meyer, médecin psychiatre et directeur de l’Eepssa, pointe l’importance de remobiliser le corps dans le soin à la personne et précisément dans le domaine de la thérapie, par-delà le poids culturel qui tend à le dénier encore ici ou là.

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Dans Le Monde du 19 août, le texte de Robert Redeker intitulé « Le nouveau corps de l’homme entre sport, publicité et pornographie » se situe dans la continuité d’un ensemble d’écrits, livres, articles qui s’étonnent de l’irruption du corps dans notre société, de l’avènement du corps chez nos concitoyens, du mésusage de son image par nos publicitaires, commerciaux et autres vidéastes.

Philosophes, sociologues, intellectuels publics et médiatiques et même psychanalystes n’ont que mépris pour ce corps, bien avant la déclaration de Redeker qui ne voit le corps qu' »entre sport, publicité, pornographie » et qui nous annonce que « la pensée et le moi se dissolvent dans le corps en un « egobody » moderne ».

Je regarde, quant à moi, le Tour de France et les Mondiaux d’athlétisme de Berlin mais beaucoup moins les deux autres lieux (cités par l’auteur) de stupre et de lucre. Trop de monde ne voit dans cette soi-disant mode du corps, que Redeker abhorre, que les abus : tatouages, piercings, trop de voile, pas assez de toile sur ce sein que je ne saurais voir. Redeker appelle Michel Foucault à la rescousse : « Mon corps, ce papier, ce feu. » Et finalement c’est la médecine qui trinque. « La médecine est devenue un pouvoir ayant ravi à la religion la propriété du corps des hommes. »

Je suis médecin. Je vois tout le progrès que réalise le Viagra pour les hommes impuissants (« (…) les mirages du Viagra »). Ancien spécialiste des transsexuels, j’ai partagé le bonheur de l’alignement du corps sur la conviction d’appartenance à l’autre genre.

Je suis psychiatre et je connais l’importance du corps dans la maladie mentale, l’importance des médicaments psychotropes qui agissent par le truchement de la biologie. Il n’y a plus que les psychanalystes purs et durs pour le méconnaître.

Je suis psychothérapeute et j’ai participé, il y a trente ans, à la formidable explosion des thérapies psycho-corporelles que j’ai appelées « somatothérapies » selon la classique construction des termes scientifiques en bon grec.

Je suis même « somatanalyste », puisque j’ai créé cette intégration du corporel à la psychanalyse, et j’ai formé près d’un millier de professionnels européens aux somatothérapies et à la somatanalyse.

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Il n’y a pas trop de corps. Il n’y en aurait plutôt pas assez, n’en déplaise à Robert Redeker, et la pensée et le moi ne se dissolvent pas dans le corps mais, au contraire, la pensée, le corps et la dimension relationnelle constituent ensemble le moi. Et pour ne pas rester avec un tout petit ego, on peut ajouter l’artistique, l’affectif, le spirituel et tout cela s’harmonise en Soi. Quant aux abus, il y en a partout, même chez nos banquiers, dont la psyché disjoncte. Revenons à nos racines, latines cette fois-ci : mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain).

Mettons-nous en corps-accord, avec coeur et conscience.

Par Richard Meyer (Lemonde.fr du 21 août 2009)